Dans les cartons des Dé-Managers : #59
Un tour du monde cette semaine et pas mal de Portugais sur le passage: Leonardo Jardim est snobé, Cristiano Ronaldo voit triple et José Mourinho s'énerve, tandis qu'outre-Atlantique, un Superclasico nous attendait. David Villa et Obafemi Martins aussi.
Changements de dispositifs ou de joueurs, batailles philosophiques et stratégiques, échecs et réussites… Chaque semaine, les quatre Dé-Managers proposent leurs billets d’humeur.
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Boca après le chaos
Julien Momont – L’analyse d’un Superclasico ne peut se restreindre à l’unique cadre du rationnel, à une simple opposition sur tableau noir, flèches et formes géométriques en tout genre à l’appui. Dans ces Boca-River, tout influe sur le terrain: l’énorme pression médiatique et populaire, l’atmosphère électrique, l’honneur à défendre, le territoire à préserver ou conquérir.
Dans le championnat argentin, il n’y a souvent pas le temps. Pas le temps pour les entraîneurs de meneur leur projet à bien, soit parce qu’ils prennent la porte après quelques matches, soit parce que leur équipe est transformée de moitié tous les six mois. Sur le terrain de la Bombonera, dimanche soir, Boca et River se sont attelés à en produire une allégorie: pas le temps pour construire; pas le temps d’appliquer les dernières passes; pas le temps de dribbler; pas le temps de jouer, serait-on tenté de dire. Tout faire vite, très vite, porté par la frénésie ambiante de l’événement, celle qui fait oublier la fatigue et courir comme un dératé. Tant pis pour l’organisation et la fluidité du jeu. Un poteau partout, peu d’occasions mais un rythme d’enfer.
Dans cette bataille de pressings intenses, Boca a plutôt logiquement pris le dessus (2-0). Plus efficaces dans l’entrejeu, portés par l’activité de Nicola Lodeiro, les Xeneizes ont accéléré en fin de match – avec l’entrée de Fernando Gago comme l’instant X fatal aux Millonarios – pour remporter ce duel au sommet, le premier des trois affrontements (avant les deux en Copa Libertadores) et sont désormais seuls leaders du championnat. Du côté du River de Marcelo Gallardo, on retiendra la qualité de passe du prometteur Matias Kranevitter, les déboulés de Carlos Sanchez (rien à voir avec le Colombien) et les décrochages de Rodrigo Mora.
Ce Superclasico n’a pas été la meilleure des publicités pour le championnat argentin, que l’on dit en déclin, mais le diagnostic ne peut se limiter à un seul match. La Primera Division regorge toujours de pépites prêtes à s’envoler vers l’Europe et voit éclore une génération prometteuse d’entraîneurs, qui pourraient suivre la voie de Diego Simeone. El Muñeco Gallardo en premier lieu. Il aura l’occasion de prendre sa revanche dès ce jeudi.
Jardimomouk
Raphaël Cosmidis – Laurent Blanc, Hubert Fournier, Christophe Galtier et Jocelyn Gourvennec. Voilà les quatre hommes candidats au prix UNFP de l’entraîneur de l’année en Ligue 1 (seuls les techniciens et joueurs du championnat français votent). Pour justifier l’absence de Leonardo Jardim, on dénombre trois arguments.
Le premier est dans le titre de la récompense. “Entraîneur de l’année en Ligue 1”. Pas en Ligue des champions, pas sur plusieurs compétitions. Mais alors pourquoi voter pour Jocelyn Gourvennec plutôt que pour Ghislain Printant, qui a également amené son club à sur-performer sur le plan comptable en championnat? C’est bien la capacité de Gourvennec à mener conjointement la lutte pour le maintien et une campagne de Ligue Europa qui lui vaut sa nomination.
Voter pour un entraîneur ne relève pas de la vérité mathématico-financière. Si c’était le cas, on se contenterait d’un calcul très simple: on diviserait le nombre de points par les budgets des clubs (les masses salariales seraient mieux représentatives mais ne sont pas disponibles pour cette saison) et on sélectionnerait les quatre premiers. Ghislain Printant et Rolland Courbis devanceraient Christophe Galtier. Philippe Montanier aussi.
Le deuxième argument contre Leonardo Jardim se trouve pourtant là. L’ASM est (sans doute) la deuxième masse salariale de Ligue 1 mais n’est que troisième au classement. Donc Monaco sous-performe. Donc Jardim ne mérite pas d’être nommé. C’est une fois de plus morceler le travail du coach portugais, oublier qu’à l’inverse d’Hubert Fournier et Christophe Galtier, son équipe a dû se débattre sur trois tableaux jusqu’à la mi-mars, qu’il a vu son effectif perdre ses meilleurs joueurs juste après son arrivée. Que tout ce qu’il avait prévu avant de débarquer sur le Rocher n’était plus possible quelques jours plus tard.
Les performances de Monaco en Ligue des champions (face à des mastodontes européens, rappelons-le), la progression de ses joueurs (combien sont-ils à ne pas s’être amélioré cette saison en Principauté?), l’évolution de son jeu: tous ces paramètres doivent entrer en ligne de compte pour évaluer le premier exercice de Leonardo Jardim en France. Juger une compétition de manière isolée n’a pas de sens pour une équipe qui en a disputé quatre, dont trois quasiment jusqu’au bout.
Enfin, le dernier argument, celui d’un style de jeu qui ne divertit pas, s’effrite face aux dernières semaines des Munegus: vingt-et-un buts sur les neuf derniers matches de Ligue 1, soit 2,33 par rencontre. Et s’il fallait intégrer la qualité de jeu et le coefficient de spectacle – le football n’est pas que ça, mais un peu quand même – dans la réflexion, le vote aurait dû se porter sur Marcelo Bielsa. Alors non, vraiment, ce n’est pas très important, mais on ne comprend pas les choix de la corporation.
On a aimé
La seconde période un peu folle entre New York City et les Sounders de Seattle (1-3), avec des espaces un peu partout, des New Yorkais incapables de vraiment en profiter malgré l’entrée de David Villa, au contraire du duo visiteur Clint Dempsey (cinq buts, quatre passes décisives)-Obafemi Martins (six buts, deux passes décisives), un peu trop fort pour la MLS. Les décrochages et ouvertures du premier pour la vitesse toujours dévastatrice du second font un combo plutôt détonant. Le tout au Yankee Stadium, stade de baseball, ce qui laisse toujours une impression de décalage un peu étrange.
Le match du milieu offensif messin Bouna Sarr face à l’Olympique de Marseille (0-2). L’ailier tonique a été le seul à réussir à déséquilibrer la défense phocéenne, par ses accélérations et son envie incessante de percuter, et malgré un certain déchet technique. Le Franco-Guinéen est l’une des rares satisfactions côté FC Metz cette saison, avec la recrue hivernale Ferjani Sassi notamment.
Le derby du Nord(-Pas-de-Calais), pratiquement dépourvu d’enjeu, ce qui a peut-être permis de laisser place au jeu, alors que l’aller au Stade de France avait été indigeste. Lille a affiché une fois de plus tout le potentiel offensif de sa jeunesse (3-1), face à des Lensois fidèles à leurs valeurs d’abnégation et de détermination pour compenser leur relatif manque de talent individuel.
La mutualisation des droits télé de la Liga votée la semaine dernière. Cela n’empêchera pas une équipe comme Cordoba de se faire exploser par Barcelone comme ce week-end (8-0) mais c’est un premier pas vers plus d’égalitarisme. En espérant que les clubs espagnols ne deviendront pas plus bêtes en devenant plus riches.
Le losange de Toulouse face à Monaco, pour son activité et la variété de ses mouvements plus que pour sa forme. Entre Bodiger, Sirieix, Akpa-Akpro et Trejo, le TFC a tellement bougé que l’ASM a souffert en première période. Les décrochages de Ben Yedder ont aussi gêné les Monégasques, tout de même larges vainqueurs au final (4-1).
On n'a pas aimé
Le match entre Villarreal et l’Atlético Madrid en milieu de semaine, plutôt mou et sans les séquences folles que sont capables de proposer ces deux équipes. On retiendra la bonne petite performance de Joel Campbell, placé dans l’axe, plus libre que sur le côté, et la qualité de centre de Koke, qui explique beaucoup du succès de l’Atlético dans les airs.
L’opposition insipide entre le Deportivo La Corogne et Villarreal (décidément, le sous-marin sourit moins), deux équipes en manque de confiance, et ça s’est vu (1-1 score final). Le Depor a tenté d’y remédier par un gros pressing d’entrée, lequel s’est essoufflé et n’a pas masqué les lacunes offensives; Villarreal par une bonne organisation derrière la ligne médiane et quelques flèches en contre, mais Joel Campbell était loin du niveau qui était le sien au Mondial (comme quoi, en quelques jours, on peut passer du tout au tout).
Voir Sergio Ramos au milieu face à Séville. La victoire madrilène (3-2), plutôt pas mal payée vu le contexte – deux buts pendant que Séville était à dix en attendant que Krychowiak soit soigné, des joueurs au repos et des occasions en fin de partie –, ne masque pas les difficultés du Real dans ce secteur. Face à l’Atlético, mettre un défenseur dans l’entrejeu apportait un punch bienvenu. Pas face à une équipe sévillane bien différente, qui aurait peut-être plus mérité Asier Illarramendi, éternel remplaçant à trente-deux millions d’euros.
L'infographie de la semaine
Cristiano Ronaldo a signé un nouveau triplé ce week-end. Son ratio but par match est le meilleur de sa carrière et supérieur à 1 pour la cinquième saison consécutive (via @cchappas).
Les déclas
"De Capello, je m’inspire de son apprentissage tactique hyper pointu, du positionnement de chacun dans un schéma global. On commence avec des mannequins puis on les remplace peu à peu par des joueurs pour que ça prenne vie. En construisant la séance par étape, chacun enregistre les exigences de son rôle par rapport au collectif. [De José Mourinho] je retiens la mise en place et l’intensité de la séance d’entraînement. Tout est calculé, minuté. Il y a une minute pour se désaltérer, pas deux. Le joueur passe d’un atelier à l’autre et comprend que rien n’est fait par hasard."
Patrick Vieira évoque ses influences dans son apprentissage du métier d’entraîneur, dans une excellente interview à L’Équipe Mag.
"Il y a deux types d’entraîneurs: ceux qui accompagnent les footballeurs et ceux qui interviennent sur les footballeurs. Quand les choses vont bien, on vante la flexibilité des techniciens qui accompagnent et la conduite des techniciens qui interviennent. Quand nous perdons, on accuse de faiblesse et de manque de discipline ceux qui accompagnent, et de saturer et fatiguer les joueurs ceux qui sont rigides. Quand une équipe perd, quelle que soit la caractéristique de l’entraîneur, on ne retient que celle-là et tout le monde s’en distancie. Il est naturel qu’un footballeur rejette le même système dont il faisait l’éloge quand il donnait des résultats. Et je ne suis pas l’exception."
Marcelo Bielsa, en conférence de presse avant le déplacement de l’OM à Metz.
La vidéo de la semaine
Le jeu de position de Juanma Lillo illustré par un match avec Almeria contre le Real Madrid en 2010, disputé en 3-4-3. Le technicien est un peu une caricature espagnole de Marcelo Bielsa: un superbe théoricien aux résultats en inadéquation avec la qualité de ses idées.
L'anecdote
La traduction disponible sur les sites français a bien lissé le propos. Mais, dans sa conférence de presse d'après-titre, José Mourinho a célébré à sa façon: en envoyant des attaques à son grand ami Pep Guardiola. "Je ne suis pas le plus intelligent pour choisir les pays et les clubs. Je pourrais choisir un autre club dans un autre pays, où être champion serait plus facile. Peut-être que dans le futur je devrais être plus intelligent et choisir un autre club dans un autre pays où tout le monde est champion (oui il répète au cas où). Peut-être que j'irais dans un pays où même l'intendant peut être entraîneur et gagner le titre." Une certaine vision du plaisir – faire le récit de sa propre grandeur – dans ce qui ressemble de plus en plus à une névrose.
La revue de presse (presque) anglophone
Pep Guardiola, qui retrouve Barcelone, a beaucoup évolué depuis son départ pour le Bayern.
Le débat sur les Expected Goals fait toujours débat au sein de la communauté des analyses. Sont-ils vraiment si mauvais?
Focus, d’ailleurs, sur ces hommes qui révolutionnent l’usage de la data dans le football, avec des exemples concrets de leur impact.
Si vous avez six mois à perdre, une analyse trrrrès longue du jeu de Manuel Neuer.
Et si Marcelo Gallardo était l’entraîneur du futur pour le Paris Saint-Germain?
Beaucoup aimeraient être Roberto Baggio. Mais empiler les buts ne suffit pas pour l’égaler.