Gemmill 1978, point G de l'Écosse
Un jour, un but - Le 11 juin 1978, quelque part en Argentine, l'Écossais Archie Gemmill dribble toute la défense hollandaise avant de planter un but orgasmique.
Kenny Dalglish tente une percée sur le coté droit de la surface néerlandaise, mais trois hommes sont là pour lui bloquer l'accès. Le ballon est récupéré par Archie Gemmill, qui évite un tacle de Wim Jansen. Sur sa lancée, le numéro 15 écossais élimine Ruud Krol d'un crochet, puis Jan Poortvliet d'un grand pont à l'entrée de la surface. Plus rien ne peut désormais l'arrêter. Archie Gemmill a transpercé le mur orange et fonce dans la surface, seul et idéalement décalé coté droit. Jan Jongbloed sort à sa rencontre. Archie Gemmill ouvre son pied droit et soulève le ballon hors de portée du gardien néerlandais.
À ce moment-là, l'Écosse entière bondit de joie. Son équipe mène 3-1, il reste une vingtaine de minutes à jouer et tout paraît possible. Il ne manque qu'un seul but pour accéder au deuxième tour du Mondial argentin. Quelques chose d'inimaginable quelques heures plus tôt. Depuis le début de cette Coupe du monde 1978, tout a fonctionné de travers pour la sélection écossaise, et l'épopée argentine annoncée glorieuse a tourné au cauchemar.
Se sauver du désastre
Les hommes d'Ally McLeod sont arrivés en Argentine avec l'intime conviction qu'ils allaient remporter la Coupe du monde. En l'absence de l'Angleterre, ils sont les seuls représentants britanniques dans l'élite mondiale, et ce motif de fierté a singulièrement multiplié leur confiance. Trop, peut-être. Les deux premiers matches, contre le Pérou et l'Iran, ne devaient être que des formalités, ils se transforment en désastres. Battue par les Sud-Américains (1-3), la bande à Kenny Dalglish ne fait pas mieux qu'un piteux match nul (1-1) face aux Perses. La honte s'abat sur l'équipe, coupable d'un excès de confiance et de quelques dérives alimentées au whisky.
Au moment d'aborder le troisième match contre les Pays-Bas, l'équipe d'Écosse est quasiment éliminée. Son seul espoir est de l'emporter par trois buts d'écart face aux vice-champions du monde, ce qui semble un rien présomptueux pour qui n'a pas été fichu de battre le Pérou et l'Iran. C'est pourtant lors de ce match que l'on retrouve l'équipe d'Écosse, la vraie, celle au jeu inspiré qui a renvoyé l'Anglais à ses chères études. Si les Hollandais ouvrent le score, ce sont bien les Écossais qui dominent la rencontre. Kenny Dalglish égalise juste avant la pause, Archie Gemmill transforme un penalty peu après. Puis vient la soixante-huitième minute, celle où Gemmill slalome dans la surface orange et plante le but du 3-1.
« On va la gagner, cette putain de Coupe du monde ! »
L'Écosse bafouée, humiliée, désabusée, se met soudain à entrevoir l'espoir d'une qualification inespérée. Dans Trainspotting, le film de Danny Boyle sorti quelques dix-huit années plus tard, un type qui vient de faire l'amour a cette réplique: "Je n'avais rien connu de tel depuis Gemmill en 1978". Car ce but fut bien un orgasme. Le match est d'excellente facture, l'un des plus haletants du tounoi et, au plaisir qu'il procure, Archie Gemmill a ajouté cette excitation soudaine qui conduit vers la félicité. Le geste qu'il exécute pour fêter son but, un point rageur lancé au public, ne porte-t-il pas lui aussi une forte symbolique sexuelle?
Aujourd'hui, un célèbre refrain est scandé dans les pub-rock de Glasgow et d'Edimbourg : "I love sex and drugs and sausage rolls / But nothing compares to Archie Gemmill's goal". Le danseur classique Andy Howitt a mis sur pied en 2001 une chorégraphie qui retrace sur la pelouse la folle course du numéro 15 écossais. En interview, le danseur raconte qu'il avait treize ans et qu'il regardait le match avec son grand-père. Ce dernier, au moment du but de Gemmill, avait succombé à une attaque cardiaque. Juste avant de mourir, il eu le temps de dire à son petit-fils: "Ça y est. On va la gagner, cette putain de Coupe du monde!".
Il n'aura pas eu le temps de voir le rêve s'achever. Quelques minutes plus tard, une échappée de Johnny Rep ponctuée par un tir fracassant sous la barre met fin à la folle espérance des Ecossais. De ce Mundial argentin dont ils avaient rêvé, les Écossais s'en vont discrètement, les valises lourdes de regrets. Avec le but de Gemmill comme seul souvenir.